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Ce qu’il s’est passé à Chernobyl’

Suite à la sortie de la mini-série télé « Chernobyl' », le sujet de l’accident a été — au moins en partie — relancé. Je propose ici un article que j’avais écrit il y a quelque temps décrivant d’un point de vue plus technique le déroulement des événements qui se sont produits.

Le réacteur de Tchernobyl’ était du type RBMK, dont il existe une excellente description sur le Wikipedia anglais.
La caractéristique principale de ce réacteur est la présence d’un bloc de graphite servant de modérateur dans lequel passent deux séries de tuyaux: ceux dans lesquels se trouvent les barres de combustible et ceux dans lesquels l’eau circule en tant que caloporteur.
Dans cette configuration le coefficient de température du carburant est négatif et le coefficient de vide est positif, par conséquent la valeur totale dépend de la valeur de la puissance: à pleine puissance celle-ci est négative rendant le réacteur stable, mais à faible puissance (<20%) elle devient positive ce qui peut rendre le réacteur instable s’il est mal géré.

Chaine des événements basé sur les rapports établis par le Comité d’État de l’URSS pour l’utilisation de l’énergie atomique lors de la « réunion d’examen post-accident », AIEA, Vienne, 25-29 août 1986: [1] [2]

En avril 1986, le réacteur n°4 devait être arrêté pour des raisons de maintenance. Profitant de cet arrêt, il fut décidé d’effectuer un test afin de vérifier que l’inertie du rotor de la turbine était suffisante pour démarrer le système de refroidissement d’urgence (ECCS) avant l’intervention des diesel qui nécessitait un peu moins d’une minute. De tels tests avaient déjà été effectués par le passé mais la procédure de ce test-là ne fut pas rédigée de manière adéquate. Il était précisé que chaque manœuvre devait être autorisée par le chef d’équipe mais le responsable en charge était un ingénieur qui n’était pas un expert en centrales nucléaires. En plus de ne pas avoir pris de mesures de sécurité supplémentaires il fut décidé d’empêcher l’intervention du ECCS (cette mesure fut reconnue par la suite inutile). A cause de tout cela le personnel ne fut pas suffisamment préparé ni conscient des risques d’un tel test et ils s’écartèrent dramatiquement du programme de test prévu (première erreur!).

Le 25 avril à 1h00 du matin le personnel commença à diminuer la puissance du réacteur, à 13h06 le premier groupe de générateurs fut déconnecté, le courant étant absorbé uniquement à partir du deuxième groupe. À 14h00 le circuit ECCS fut déconnecté comme prévu, mais le réacteur fut maintenu en activité pour maintenir la distribution d’électricité ce qui signifie concrètement que le réacteur fonctionnait alors avec le système de sécurité désactivé (deuxième erreur!).

À 23h10 la diminution de la puissance du réacteur reprit, le programme de test exigeait qu’il fusse réalisé à une puissance comprise entre 700 et 1 000 MW (contre les 3 200 à pleine capacité) pour éviter le coefficient positif qui se produit à faible puissance, or l’opérateur ne fut pas assez rapide à réagir et la puissance du réacteur tomba en dessous des 30 MW.

Ce ne fut qu’à 1h00 du 26 avril qu’on put stabiliser la puissance à 200 MW car le Xenon empoisonnait déjà le réacteur et il était nécessaire d’extraire d’autres barres de contrôle pour forcer un excès de réactivité. Malgré tout il fut décidé de continuer les tests (troisième erreur!). Entre 1h03 et 1h07 les six pompes ainsi que les deux de réserve furent mises en service ce qui augmenta considérablement le débit. Il s’agissait là d’une opération interdite par la procédure en raison du risque de défaillance des pompes et du risque de vibrations excessives des tuyaux. Ayant ainsi réduit la production de vapeur, la pression chuta et les paramètres du réacteur devinrent anormaux.

Entre autres choses, cela entraîna une baisse du niveau d’eau dans les corps du réacteur et, afin d’éviter un arrêt automatique, les signaux d’urgence correspondants furent désactivés. La réactivité diminua lentement et, bien qu’un opérateur eusse constaté à 1h23 que les paramètres étaient tels qu’il fallait exiger un arrêt immédiat du réacteur, le test continua (quatrième erreur!). Les vannes d’interception de la vapeur furent fermées, mais le réacteur continua à fonctionner à 200 MW: comme dit précédemment le système d’urgence était désactivé pour pouvoir répéter l’expérience si nécessaire, ce qui constitua un autre écart par rapport au plan prévu (cinquième erreur, la plus grave!)

Après le début du test, la puissance commença à augmenter lentement, à 1h23 le chef d’équipe donna la commande de SCRAM permettant d’insérer toutes les barres de contrôle en même temps, malheureusement les barres se bloquèrent durant la phase d’insertion et il ordonna de couper l’alimentation des moteurs pour les faire tomber par gravité.

À 1h24, deux explosions successives provoquèrent l’éjection de matériaux enflammés sur les toits du bâtiment moteur, et créèrent un incendie.

Analyse à partir de simulations réalisées à posteriori :

L’augmentation du débit augmenta le niveau d’eau dans le noyau, cette introduction de liquide froid provoqua la remontée des barres de contrôle automatique pour compenser la diminution du vide. L’opérateur continua à extraire les barres de contrôle manuel pour maintenir le niveau de puissance à 200 MW. A ce moment, la distribution verticale des neutrons avait deux bosses, avec une plus grande valeur dans la partie supérieure. En fait, à ce moment-là le noyau avait déjà presque brûlé, les barres de contrôle presque toutes retirées et le centre du réacteur empoisonné par le Xenon.

Au début du test les vannes d’arrêt du générateur furent fermées, comme prévu, ce qui provoqua l’augmentation de la pression et par conséquent la portée des pompes connectées au générateur diminua.

Le fait que les systèmes de sécurité soient arrêtés au moment où la procédure de SCRAM fut activée, permit l’augmentation fulgurante de la puissance, passant à 530 MW en trois secondes. La réduction du débit ainsi que la production rapide de vapeur conduisirent à la surchauffe du noyau et à la fusion du combustible. L’augmentation presque instantanée de la pression détruisit les tuyaux et provoqua une explosion qui détruisit à son tour le réacteur et l’enceinte de confinement, entraînant ainsi la dispersion des matériaux dans l’air.

Les raisons qui déclenchèrent l’augmentation instantanée de la puissance du réacteur demeurent incertaines, toutefois un facteur indéniable est la croissance du coefficient du vide lorsque la puissance de ce type de réacteur atteint une valeur trop basse. Qui plus est, une « erreur » de conception des barres de contrôle conduisit à une réactivité supplémentaire: la première partie des barres de contrôle étaient constituées à l’époque de graphite, ce qui signifie que lorsque les barres pénètrent dans le réacteur la réactivité augmente avant de se réduire au fur et à mesure que les barres pénètrent plus profondément à l’intérieur, or après avoir donné l’ordre de SCRAM les barres restèrent partiellement bloquées dans le noyau. La plus grande erreur peut être attribuée au fait que la procédure de test fut modifiée au dernier moment sur un réacteur dont on savait déjà qu’il était dans un état critique.

Les rejets totaux, selon une évaluation le 06 mai, représentent environ 1,85E8 Bq, soit environ 3,5% des isotopes contenus dans le réacteur au moment de l’accident. La dispersion d’éléments radioactifs cessa pratiquement le même jour.

[1]
The accident at the Chernobyl’ nuclear power plant and its consequences, URSS, 25-29 Aug. 1986
[2]« Post-Accident Review Meeting », IAEA, Vienna 17-20 Nov. 1987

Cette publication est également disponible en it_IT.

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